Semis de céréales levés dans un champ de cultures associées   © Adobe stock par Par Matauw - avril 2021

Dossier

Nouvelle pratique agricole : la technique ancestrale des associations de cultures

Passion Céréales

En jouant sur les interactions positives entre les plantes, la méthode des associations de cultures – également appelée « cultures en association » ou cultures "associées" – fait partie des techniques sur lesquelles peut s’appuyer l’agroécologie. Tour d’horizon de cette pratique qui est de plus en plus utilisée, notamment en agriculture biologique.


La notion de solidarité et d’entraide, loin d’être réservée aux Hommes et aux animaux, existe aussi dans le règne végétal. Les incroyables capacités de socialisation et d’échange d’informations dont bénéficient les arbres ont récemment été révélées au grand public par l’ouvrage à succès La vie secrète des arbres (éditions Les Arènes, 2017). Mais le monde agricole connaît de longue date ce que les plantes, elles aussi, peuvent s’apporter l’une à l’autre... C’est en s’appuyant sur ce constat que l’idée d’associer différentes espèces de plantes sur une même parcelle a été remise au goût du jour.

Pour en comprendre les tenants et aboutissants, un expert nous invite à remonter le temps. « Le principe des associations de cultures consiste – comme le nom l’indique – à associer des espèces végétales ayant des caractéristiques différentes afin de tirer parti de leurs complémentarités et des synergies qu’elles peuvent développer pour favoriser mutuellement leur croissance, explique Grégory Véricel, ingénieur au pôle agronomie chez Arvalis-Institut du Végétal. Cette pratique a toujours existé et était couramment utilisée jusqu’à l‘après-Deuxième guerre mondiale où les impératifs de développement assignés à l’agriculture ont conduit à simplifier les systèmes de culture pour les rendre mécanisables. C’est ainsi que l’implantation d’une seule espèce (blé tendre, orge, pois, colza...) dans le même champ avec une rotation des cultures d’une année sur l’autre est devenu le modèle prédominant de l’agriculture moderne. »

Lorsqu’une parcelle est cultivée avec une seule espèce, ces plantes ont les mêmes caractéristiques biologiques et fonctionnelles. Elles entrent alors en compétition entre elles sur les mêmes besoins et au même moment lorsqu’il s’agit d’aller puiser dans les ressources nécessaires à leur développement : l’eau, la lumière, les minéraux présents dans le sol... Si le milieu naturel n'en contient pas suffisamment pour répondre aux besoins des plantes, l'agriculteur peut y suppléer par des apports extérieurs (engrais, irrigation...). Dans le cas des associations végétales, les interactions positives entre les espèces et la limitation des phénomènes de concurrence vont permettre de réduire de manière significative les apports extérieurs.

 « Les cultures en association fonctionnent bien lorsque l’on choisit des espèces qui occupent des « niches écologiques » distinctes, explique Grégory Véricel. Autrement dit, chaque espèce va exploiter des ressources du milieu différentes, ou bien les espèces utiliseront les mêmes ressources mais de manière décalée dans le temps ou dans l’espace. De plus, une espèce peut créer, à travers des mécanismes biologiques plus ou moins complexes, un environnement favorable à son espèce compagne. » Sur le terrain, les associations les plus courantes combinent une légumineuse à graine (pois, fèverole, lentille, lupin, pois chiche...) et une céréale à paille (blé tendre, blé dur, orge, triticale, avoine, épeautre...). Les associations « légumineuse et céréale » mettent à profit la capacité des légumineuses à capter l’azote de l’air. Celles-ci mettent en place une symbiose avec des bactéries qu’elles « hébergent » dans leurs racines et exploitent l’ion ammonium produit par les bactéries à partir du diazote de l’air pour synthétiser leurs propres protéines.

Parallèlement, la céréale joue un rôle de stimulant : en captant l’azote disponible dans le sol, elle instaure une concurrence positive qui oblige la légumineuse à renforcer son travail de symbiose avec l’azote de l’air. Dans des conditions optimales, le processus se traduit par un triple gain : « une réduction des apports d’engrais azotés, une amélioration des rendements et une meilleure teneur en protéines des grains », énumère Grégory Véricel.

Autre avantage, les associations variétales jouent un rôle de protection en érigeant des barrières physiques qui limitent l’action des ravageurs, cassent la propagation des maladies et enrayent la prolifération des « adventices » (mauvaises herbes). Par exemple, dans une association blé tendre-pois, le premier protège le second des attaques de pucerons grâce à son meilleur pouvoir couvrant qui empêche aussi le pois d’être envahi par les adventices. Enfin, les céréales à paille offrent aux légumineuses des tuteurs auxquels elles peuvent s’accrocher pour maintenir leur verticalité lorsque les grains pèsent sur leur tige. Cela favorise l’accès de la plante à la lumière, évite l’affaissement de la culture et facilite la récolte.

Comme le souligne Bertrand Pinel, responsable recherche et Développement de la coopérative Terrena, implantée dans l’Ouest de la France, « les associations végétales forment un espace de biodiversité fonctionnelle où une multitude d’éléments rendent des petits services qui, ensemble, bénéficient à la culture et réduisent les interventions. C’est donc un outil utile en agroécologie, et tout particulièrement pour les cultures biologiques car il permet de compenser les intrants exclus du cahier des charges. » Les chiffres disponibles en témoignent : les associations céréales-légumineuses représentent 9 % des surfaces cultivées en bio (Source : Agence Bio 2019) contre seulement 0,4 % en agriculture conventionnelle (Source : Service Statistiques et Prospectives du ministère de l’Agriculture).

 

 

Malgré ses avantages, ce système cultural a du mal à se déployer à grande échelle en raison des contraintes qu’il implique, au plan agricole mais aussi pour la collecte et la commercialisation. Comme le note Bertrand Pinel, « nombreux sont les agriculteurs intéressés pour progresser dans ces techniques mais les associations sont difficiles à piloter. » Du point de vue des organismes collecteurs, les freins se situent aux niveaux du tri et des valorisations. « La récolte simultanée des grains implique d’avoir des outils de triage spécifiques et très performants, explique Patrice Menuzzo, technicien spécialiste des cultures bio à la coopérative Qualisol (Tarn-et-Garonne). Notre coopérative a choisi de s’équiper car nous avons identifié des débouchés pour des cultures qui peuvent être conduites en association : lentilles, féverolle, blé de printemps, avoine... ». En revanche, pour d’autres acteurs dont les marchés n’offrent pas de valorisations adaptées, l’investissement se révèle trop important. Enfin, si certains mélanges de grains utilisés en alimentation animale peuvent, en théorie, être élaborés dès la mise en culture, la récolte peut poser un problème d’homogénéité car les proportions entre les variétés de grains sont trop variables pour répondre avec constance à un cahier des charges.

Pour autant, lorsque les freins sont levés et si le contexte local s’y prête, les agriculteurs qui s’engagent sur cette voie ne regrettent pas leur choix. Comme en témoigne Didier Imbert, agriculteur à Saint-Nicolas-de-la-Grave, au confluent du Tarn et de la Garonne : « j’ai mis en place des associations variétales lorsque je suis entré en conversion bio, il y a cinq ans. Cela demande un peu de temps pour trouver les mélanges les mieux adaptés à chaque parcelle, mais on affine très vite les réglages d’une année à l’autre. Cette technique m’a apporté une solution pour supprimer tous les apports de fertilisation, même les intrants organiques autorisés en culture biologique, tout en assurant des rendements satisfaisants. C’est vraiment un outil sur lequel je me suis appuyé pour réussir le passage en bio qui permet de mieux valoriser ma production. »

Les associations « légumineuse à graine / céréale à paille » sont les plus répandues. Elles combinent des cultures à cycle long dont les plantes sont semées et récoltées en même temps, en automne puis en été. Mais il existe d’autres associations, à l’image des « cultures intermédiaires relais » qui consistent à implanter un couvert de légumineuse (luzerne, trèfle...) avant la récolte de la culture principale (blé, orge...) : ce couvert, déjà bien installé dès la moisson, jouera son rôle de « plante de service » (protection du sol contre l’érosion, piégeage du nitrate, fixation de l’azote de l’air, stockage de carbone) jusqu’à l’implantation de la culture suivante de manière plus efficace que s’il avait été semé à la récolte. Une autre technique, appelée « relay-cropping », consiste à implanter une culture d'été à cycle court (soja, sorgho) au sein d’une culture d'hiver à cycle long (céréale), ce qui permet d’obtenir deux récoltes sur une année avec une période de chevauchement où les plantes vont cohabiter. Au niveau des débouchés, les cultures en association se prêtent aussi bien à la production de grains destinés à l’alimentation humaine qu’à la production de fourrage pour les animaux d’élevage.